lundi, novembre 04, 2002

La beauté du monde est belle de ne rien dédaigner. Tout lui est refuge, temple, scène. La beauté du monde a posé ce matin ses mains de neige sur mes épaules. Elle m’a regardé droit dans les yeux, m’a dit : toi tu devrais faire comme moi, longtemps dormir, longtemps mourir, une cure d’absence et de silence, regarde comme ça me va bien. Et la beauté du monde s’est mise à danser sur le bureau – une danse maladroite, adorable. J’ai souri. Je me suis préparé une troisième tasse de café, les deux premières ne comptent pas, les deux premières ne comptent jamais. La beauté du monde s’est assise sur le bord de la tasse, m’a dit : devine d’où vient ma fraîcheur. Je ne sais pas, lui ai-je répondu, écarte-toi un peu, je ne veux pas t’avaler avec mon café. La beauté du monde a éclaté de rire, a fait le tour de l’appartement, mis son nez dans mes carnets, ramassé un pull qui avait glissé d’un fauteuil, s’est penchée à la fenêtre, s’est retournée en criant : ma fraîcheur, tu sais, c’est parce que je désespère et que j’espère dans le même temps, à chaque seconde, ça me va bien au teint, tu ne trouve pas ? Puis la beauté du monde est partie dans toutes les directions à la fois et je suis allé me préparer une quatrième tasse de café.

C. Bobin « Autoportrait au radiateur »