mercredi, février 18, 2004

Tu vas encore faire du mal.
Cette pensée me traverse l’esprit alors que j’observe cette beauté insolente, centre d’un univers de regards et habituée à ce rôle. Elle est mannequin. Ses jambes semblent aussi longues que son orgueil est démesuré. Une poupée parfaitement manipulable.

Jet lag et Whisky. Cela aurait tendance à me laisser partir sur les chemins tortueux de mes névroses. Tout est trop clair, jamais de cette histoire ne jaillira le bonheur. Quelques moments de jouissance partagée cela serait déjà l’Everest à gravir. Mais il y a la pulsion du désir. L’envie de posséder. L’envie de faire mal.
Cela sent à plein nez la médiocrité mais les apparences seront sauves. Brillantes même.
Il y a une ironie délicieuse à rendre le monde jaloux de cette misère. Il va y avoir beaucoup d’envieux quand je l’aurais à mon bras. Ca me fait penser à mettre en concurrence les tabloïds. Quitte à donner de moi-même, autant le tarifer au meilleur prix.

Je me déteste. C’est la seule concession que je veux bien faire à la morale.
Je me déteste au point d’entraîner toutes les personnes qui m’approchent dans une spirale de noir. Juste pour pouvoir me haïr un peu plus et en savourer toute l’amertume. Mon psy parle de troubles comportementaux, liés aux abus que m’a fait subir mon père quand j’étais gosse. Ca pourrait être vrai sauf que mon père ne m’a jamais fait de mal. Au contraire.
Le psy précédent penchait plutôt pour de l’homosexualité refoulée. Dommage pour nous deux, il est mort avant que nous ayons eu le loisir d’explorer cette thèse. Une agression dans son parking. J’ai entendu dire qu’on lui avait explosé la tête à coup de portière.
Terrible.

Revenons à nos moutons.
Elle est banalement sublime, froide comme une tombe. Neuf chances sur dix qu’elle soit ukrainienne, dix sur dix qu’elle soit vénale.
J’ai envie de la baiser. Une fois que cela sera fait, je vais m’en servir pour humilier ma femme. Je vais la punir parce qu’elle lui ressemble.
Franchement, pas de quoi avoir des remords, cette fille aime aussi la fange. Regardez moi ce gloss sur ses lèvres et cette jupe. Elle a déjà dû voir pire. Elle a déjà dû faire bien pire. Et puis quoiqu’il arrive, elle renverra cette image que le public veut garder, glamour, riche, affreusement heureuse.

Subitement j’angoisse. Que dire à mon psy ?
Lui parler de culpabilité ? J’aspire à changer, c’est finit les conneries, blah, blah ?
Non, je sais.
Après tout, vivre ce n’est pas se priver, non ? Tout ce que je peux prendre dans l’instant je dois le saisir, le consommer, le dévorer, Carpe Diem.
Je m’en sors toujours comme ça.
De la sagesse inversée et le tour est joué, conscience mise en sourdine et en avant toute.
Je sens la joie revenir avec l’excuse trouvée. L’excitation du moment tape dans ma carotide, le flot d’adrénaline va me pousser vers elle.

Dans quelques minutes, le jeu va commencer. Je serai magnifique, raffiné, subtil. Toutes les qualités qui servent au machiavélisme. La séduction poussée par des mauvaises raisons est la plus somptueuse des perversions. C’est de la magie, noire. L’or du diable.
Je suis irrésistible. Un putain de dieu.
Voilà mon histoire : Une fuite en avant, droit dans le mur à la vitesse de l’orgueil sur un chemin de lâcheté.

Ma femme m’appelle. Un maton me laisserait plus d’espace. Je lui dis que je ne rentrerais pas ce soir, trop de boulot, pas eu le temps de prévenir plus tôt, le truc habituel. Je raccroche avant qu’elle n’ait pu l’ouvrir.
Ma femme. Elle s’appelle Catherine. Elle est actrice. Enfin elle l’était avant. Aujourd’hui elle ne fait plus grand chose en dehors de courir de vernissages en premières.
Je l’ai rencontrée il y a six mois. Mon ancien psy m’avait dit que j’avais besoin de stabilité, alors je l’ai épousée trois mois plus tard. J’ai négocié trente mille pour les photos du mariage. J’ai fait une couverture de magazine télé aussi. Merdique. A quoi pouvais-je m’attendre ? N’importe quoi.
Aujourd’hui je ne peux plus la supporter, elle, sa voix nasillarde et son nez disgracieux. Putain, comment j’ai fait pour ne pas le voir celui là. J’ai soudainement mal à la tête.
En tout cas, elle va s’en souvenir.
Elle qui va une fois par semaine chez le coiffeur, elle va aimer me voir dans la presse people. Plutôt sympa de ma part en fait. Elle pourra en parler directement avec ses amies sans avoir à les appeler.

Je regarde l’Ukrainienne, je parie pour une Olga. Je fais un cadre avec mes doigts et je cherche le bon angle. Elle me sourit. J’essaye d’imaginer le meilleur décor. Les boiseries devant le Four Seasons. Ca irait bien avec le blond de ses cheveux.